La composition échiquéenne
        Compositions diverses



La partie synthétique

Une partie justificative est une partie synthétique dont l’existence prouve que la position à laquelle elle aboutit est légale. Ce peut être aussi une œuvre comparable à un problème aidé dont le but est « Atteindre une position précise ».

Nous parlerons ici des parties composées à l’intention du joueur.

  • Elles peuvent naître de la fantaisie du compositeur. Ce sont alors des œuvres de forme libre pouvant chercher à produire des effets humoristiques.

Une partie synthétique

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Diagramme A

Position du Diagramme A : Le trait est aux Blancs dans une partie jouée par correspondance entre Steinitz et Tchigorine. Le quatrième Cahier de l’échiquier français reproduit la position et le commentaire de Steinitz dans
International Chess Magazine, octobre 1890.

« J’arrive à mon fameux coup Ch3-g1 qui a été tant critiqué. Ce coup consacre cependant une application d’un des plus importants principes de ma théorie sur les échecs. Remarquez que, de mon côté, j’ai six Pions qui n’ont pas encore bougé, ce qui, d’après ma théorie, est un gros avantage, surtout pour les fins de partie, où il est essentiel de pouvoir, au choix, pousser ses Pions d’un ou de deux pas ; observez encore qu’aucune de mes pièces ne peut, avant longtemps, être attaquée par un Pion ennemi. »

C’est ce commentaire qui a inspiré Siegbert Tarrasch. Voici son texte présentant une partie synthétique. Le texte français fut publié dans La Revue d’échecs en juin 1901 (traduction S. L.) puis reproduit dans le quatrième Cahier de l’échiquier français en 1925. La notation descriptive a été remplacée par la notation algébrique.

« Partie jouée au tournoi de X... en 1930

Blancs : M. Quatre Noirs : M. Treize

Depuis quelques temps, la mode s’est introduite parmi les maîtres de prendre des pseudonymes. Au dernier Congrès des échecs de X..., il n’y avait pas moins de douze maîtres qui avaient pris le nom de Dubois, ce qui est de nature à amener des quiproquos regrettables. Pour éviter le retour d’une pareille confusion, on décida de donner aux joueurs un numéro d’ordre.

1. Cf3

Ce coup a été inventé par Zukertort, et, jusqu’à ce jour, il a porté son nom. Comme Zukertort n’avait pas trouvé la continuation correcte, qui vient seulement d’être jouée pour la première fois - et, dans cette partie - par le maître qui conduisait les Blancs, tout le monde trouvera bon d’appeler cette ouverture du nom des « Quatre Cavaliers ».

1. ... Cf6

Il est étonnant de constater que, dans tout le cours du XIXe siècle, personne n’eut l’idée de ce coup ; jusqu’à présent, on répondait toujours aux Blancs par la naïve avance du PD, deux pas, sans se douter du tort qu’on se faisait pour la fin de partie. Le coup du texte est naturellement le seul correct.

2. Cc3

Un coup admirable, et qui fait honneur au génie de Quatre ! Zukertort avait l’habitude de continuer ici par 2. d4, ce qui prouve qu’il n’avait absolument rien compris à sa propre invention. On se saurait trop insister sur ce point, que les P ne peuvent pas aller en arrière et que, du moment où l’on en pousse un en avant, il en devient un but exposé aux attaques de l’adversaire. D’ailleurs nous avons déjà dit combien il est important, pour la fin de la partie, de pouvoir pousser son P d’un ou de deux pas ad libitum.

2. ... Cc6

Treize se montre à la hauteur de son adversaire.

3. Cg1

Un plan d’une finesse incroyable. Le premier joueur menace de jouer aussi Cb1 et d’obtenir l’avantage considérable qu’aucune de ses pièces ne pourra avant longtemps être attaquée par un P adverse.

3. ... Cg8

Treize s’aperçoit du danger et suit l’exemple de son adversaire.

4. Cb1 Cb8

Le connaisseur verra avec plaisir les manœuvres de deux maîtres de tout premier rang, auxquels aucune des subtilités du jeu n’est inconnue. Les deux parties ont grand soin de ne s’offrir aucun point faible. Autrefois, on considérait comme nécessaire d’avancer les P pour permettre aux pièces de se développer ; mais, dès la fin du siècle dernier, on avait commencé à s’apercevoir qu’il n’était pas du tout indispensable, qu’il était même dangereux de sortir ses pièces. Car celles-ci pouvaient être attaquées par les P, et même - par exemple, quand on ne le remarquait pas - elles pouvaient être prises ! La beauté et la profondeur de la science échiquéenne ne consiste pas à faire quelque combinaison risquée, mais à disposer ses forces, pièces et P, dans la position la plus avantageuse, et il est évident qu’elles ne peuvent être mieux placées que là où l’inventeur du jeu lui-même les a mises.

5. Ch3

Le premier joueur essaie maintenant de procéder d’une autre manière, et meilleure, croyons-nous : que le C soit moins exposé au bord de l’échiquier qu’au centre, c’est là un axiome reconnu dès la fin du siècle dernier.

5. ... Ch6

En bon général, Treize change aussitôt ses batteries.

6. Ca3 Ca6

Les deux camps se contrebalancent et se gardent d’aucun point faible. Naturellement, une tactique aussi prudente que profonde - extraordinairement intéressante pour le connaisseur - ne peut conduire qu’à une remise également glorieuse pour les deux adversaires.

7. Cg1 Cg8

Ces coups ont été inventés par le maître le plus grand - d’après nous - du XIXe siècle. Il les a joués dans une célèbre partie, par correspondance. Ce maître est le premier de son temps qui ait creusé si profondément l’essence des échecs. Son jeu était, pour employer une expression à la mode à cette époque, « fin de siècle ».

8. Cb1

À ce moment, Treize offrit la nullité. Quatre a un certain avantage de position, il a sorti une pièce de moins ; mais cet avantage n’est pas assez important pour pouvoir être converti en gain contre un tel adversaire. Il ne pourrait être question de gagner, pour l’un ou pour l’autre, que par l’effet d’un heureux hasard : par exemple, si un P - surtout un PT - ne tombait de l’échiquier, sans que le joueur s’en aperçût. On ne peut pas escompter avec certitude une pareille chance. Quatre accepte la nullité. Cette partie obtint le prix spécial pour la partie la mieux jouée du tournoi. Cette décision fut unanimement approuvée par tous les connaisseurs.

Quand on compare cette manière simple, mais claire, profonde et pas trop fatigante, de jouer aux échecs, avec le dédale insensé des combinaisons où Morphy, en particulier, aimait à s’égarer, on se demande avec étonnement ce que nos pères faisaient au XIXe siècle ; peut-on vraiment dire qu’ils jouaient aux échecs ? »






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